Portrait de la semaine : Mata Hari

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Aujourd’hui : la chronique histoire « Le portrait de la semaine » sur Mata Hari

Cette semaine, je vous propose de découvrir Mata Hari. Cette jeune femme originaire des Pays-Bas a connu une carrière de danseuse exotique avant de devenir agent secret pour l’Allemagne et la France pendant la Première Guerre Mondiale. Un destin peu commun, qui causera sa perte.

Mata Hari, née Margaretha Geertruida Zelle, voit le jour à Leeuwarden aux Pays-Bas, le 7 août 1876. Elle est l’aînée des quatre enfants d’Adam et d’Antje Zelle. Adam est chapelier et subvient aux besoins de sa famille, grâce à sa boutique de chapeaux et à des investissements fructueux dans l’industrie pétrolière. Margaretha est la grande favorite de son père qui la couvre de cadeaux et lui fait fréquenter de bonnes écoles. Son physique est atypique pour son pays d’origine. Alors que tous les enfants sont blonds à la peau claire, Margaretha tranche avec ses cheveux de jais et son teint hâlé qui lui donnent une apparence exotique. Elle dit avoir des origines javanaises, c’est-à-dire indonésienne, mais certains ont mené l’enquête et ont conclu qu’elle n’avait pas d’ascendance asiatique ou moyen-orientale. Ses deux parents étaient néerlandais.

En 1889, l’entreprise du père de Margaretha fait faillite et ses parents se séparent en 1890. Sa mère meurt 8 mois plus tard, en 1891. Son père étant déchu de ses droits, c’est chez son oncle, un négociant de la Haye, qu’elle sera placée. Ce dernier lui fait intégrer un pensionnat pour jeunes filles aisées. Elle y recevra une éducation exemplaire. Elle apprend plusieurs langues, le piano, et est une excellente cavalière. Alors qu’elle mène ses études pour devenir institutrice, elle est renvoyée à l’âge de 16 ans pour avoir entretenu une relation avec le directeur marié de l’école. Ce dernier perdra également sa place. Dès lors, elle déménage à la Hague, une ville remplie d’officiers coloniaux qui reviennent des Indes néerlandaises (Indonésie de nos jours).

A 18 ans, en 1895, Margaretha répond à une petite annonce dans le journal publiée par un capitaine de l’armée néerlandaise d’origine écossaise, Rudolph MacLeod de 19 ans son aîné. Vivant aux Indes néerlandaises, il cherchait une femme. Margaretha et Rudolph se marient le 11 juillet de cette même année. Elle part vivre aux Indes néerlandaises. Comme les femmes européennes de l’époque, elle apprend le javanais, s’habille de manière locale et apprend la danse javanaise.

Malheureusement, leur mariage ne se passe pas aussi bien que prévu. MacLeod n’avait que peu d’argent, beaucoup de dettes, était alcoolique, et entretenait de nombreuses relations extraconjugales. Il donne même la syphilis à Margaretha, maladie pour laquelle il n’existait aucun traitement. On essayait de soigner les malades avec des composés toxiques de mercure qui étaient considérés (à tort) comme un remède. Margaretha attire l’attention des autres hommes de l’armée, ce qui enrage MacLeod qui se mit à battre sa femme

De leur union naît tout de même deux enfants, Norman-John en 1897 et Louise Jeanne en 1898. La vie du couple ne s’améliore pas pour autant. En 1899, les deux enfants tombent gravement malades, probablement de la syphilis congénitale. MacLeod appelle un médecin. Ce dernier n’ayant jamais soigné d’enfants, aurait surdosé les deux petits. Leur fils de deux ans meurt. Cependant, d’autres versions de cette histoire circulent. Certains soupçonnent la nourrice d’avoir empoisonné les enfants. Les circonstances de la mort de Norman-John restent floues aujourd’hui encore.

Le couple retourne aux Pays-Bas en 1902 où ils divorcent. Si à l’origine Margaretha avait obtenu la garde de sa fille ainsi qu’une pension alimentaire, Jeanne est kidnappée et élevée par son père, qui ne versa jamais sa pension. Jeanne mourra en 1919 à l’âge de 21 ans, probablement à cause de complications de la syphilis.

En 1903, à l’âge de 27 ans Margaretha déménage à Paris où elle se fait appeler « Lady MacLeod ». Pour survivre, elle se fait entretenir par les hommes et devient une cocotte. Ce terme péjoratif désigne une femme qui vit de services sexuels rémunérés mais qui n’est pas enregistrée comme prostituée auprès de la police. En 1905, grâce à ses talents d’écuyère, elle se fait embaucher dans le « Nouveau cirque » d’Ernest Molier. Il lui propose d’évoluer comme danseuse dénudée. Avec les techniques de danses orientales qu’elle a appris dans les Indes néerlandaises et son physique exotique, elle se crée un personnage de danseuse orientale. Cette même année, Emile Guimet, collectionneur d’œuvres d’art lyonnais, lui propose d’aller danser dans le musée qui porte son nom. Elle y performe sous le fameux nom de Mata Hari, « œil du jour » en malais devant une statue de Shiva, un dieu indou. Sa danse est inédite, elle performe dans des tissus transparents suggestifs, avec un soutien-gorge orné de pierres précieuses et une coiffe impressionnante. Le succès est au rendez-vous et le public, sous le charme. Elle se produira pendant 10 ans en tant que danseuse exotique. Elle crée le numéro d’effeuillage, qui consiste à retirer ses vêtements progressivement pour finir dévêtu.e ou nu.e. Cette femme qui a levé les tabous sur la nudité dans la société est devenue égérie de la Belle Époque. Elle se crée une histoire et berne tout le monde : elle serait née à Java où elle aurait appris la danse et les cultes de l’île avec des prêtres de Shiva. Le mythe est né.

Pendant la Première Guerre Mondiale, les Pays-Bas restent neutres, ce qui permet à Mata Hari de circuler librement en Europe. Ses mouvements attirent l’attention et elle rencontre le consul d’Allemagne en 1915, Carl H. Cramer. Il est intéressé par le polyglottisme de cette femme qui côtoie le haut de la société. Sa carrière de danseuse étant sur le déclin et Mata Hari étant proche de la ruine, il lui propose de rembourser ses dettes si elle accepte de travailler pour les services secrets de l’Allemagne en retournant à Paris. Elle devient l’agent H-21.

En 1916 elle tombe follement amoureuse d’un jeune pilote de l’armée russe au service de la France de seulement 21 ans, Vadim Maslov. Quand il est blessé au front, elle souhaite se rendre à son chevet à Vittel. Lors de cette démarche, elle rencontre le chef du « Deuxième Bureau », les services du contre-espionnage français, Georges Ladoux. Afin qu’elle puisse rejoindre son fiancé, il lui fournit un laissez-passer. Mais sa condition n’est pas des moindres : il lui impose de mettre à profit ses talents en langues et ses facilités de déplacement pour espionner l’ennemi allemand. Ladoux lui offre même un million de francs pour espionner le fils Kaiser pour qui elle avait déjà dansé. La somme ne lui sera jamais versée.

Mata Hari se rend à Madrid en 1917 où elle trouve le grand centre d’espionnage allemand et tente de séduire l’officier allemand Arnold von Kalle. Elle arrive à recueillir de nombreuses informations concernant les activités à venir des Allemands. Pour se faire, elle dit clairement avoir été embauchée par Ladoux pour les espionner. Kalle aurait transmis un message radio à Berlin qui décrit les activités de H-21. Le message est intercepté par Ladoux, qui sera le seul à avoir connaissance de ce message. Le télégramme disparaîtra mystérieusement par la suite. D’après Ladoux, les Allemands avaient chiffré le message avec un code qu’ils savaient connu par les Français, et donnait suffisamment d’informations pour qu’on puisse identifier Mata Hari. Si cette version est vraie, les historiens pensent que cette manœuvre avait pour but de vérifier si Mata Hari était un agent double. Si tel était le cas, elle serait neutralisée par les Français. Et c’est ce qui signera sa perte.

De retour en France, alors qu’elle pense être récompensée pour ses bons et loyaux services, elle est arrêtée le 14 février après qu’une perquisition ait eu lieu chez elle et que des produits pharmaceutiques suspects aient été retrouvés. Elle est emprisonnée à la prison Saint-Lazare. Après trois mois, elle commence à perdre la tête et plaide la folie pour s’en sortir et supplie ceux qui la retiennent prisonnière de la laisser voir Maslov. Il lui envoyait de nombreuses lettres lui demandant de venir le voir à l’hôpital, mais elles furent toutes interceptées et cachées à Mata Hari.

Lors de son procès, seuls les télégrammes interceptés par Ladoux (et aujourd’hui considérés comme très probablement trafiqués) sont des preuves contre Mata Hari. Elle est condamnée à mort essentiellement sur les dires de Ladoux, qui pointera du doigt son train de vie immoral comme pour appuyer ses accusations. Son exécution a lieu le 15 octobre 1917 par fusillade à Vincennes. Elle a seulement 41 ans. Sa famille ne réclame pas le corps qui est disséqué à la faculté de médecine de Paris. Plusieurs de ses organes furent volés, comme s’ils étaient des reliques.

Alors, espionne trahie, enrôlée de force ou tout simplement piètre espionne ? Finalement, si elle est devenue agent, ce n’est pas par choix. L’Allemagne a profité de ses lourdes difficultés financières, tandis que la France lui a fait du chantage en l’empêchant de voir son fiancé. Il est probable que nous ne saurons jamais la vérité sur le travail de Mata Hari en tant qu’espionne, même s’il est tout à fait envisageable qu’elle ait été trahie.

Eve Poulallion

Sources :

National Geographic

Ecribouille

Europe 1

Historia

Britannica