Les bâtiments du campus

Grignard, Forel, Dubois, Lwoff… vous êtes tous déjà passés devant ces bâtiments, mais vous êtes-vous déjà demandé qui ils honoraient ? J’ai mené l’enquête pour vous, armé de Wikipédia et du site web de l’université ! 

Braconnier (1922-1955) 

C’est grâce à lui, entre autres, qu’on doit notre beau campus ! Professeur de mathématiques, il est devenu directeur de la partie de l’université de Lyon dédié à cette discipline après sa fondation. 

Il a fait partie du groupe Bourbaki, un regroupement de mathématiciens à l’origine d’une série d’ouvrages, Éléments de mathématiques, visant à présenter ces dernières de manière unifiée. Bien que non terminée et sujette à des critiques, elle a eu une influence très importante sur l’enseignement des mathématiques par la suite. 

Ce même groupe a également engendré les séminaires Bourbaki, toujours organisés aujourd’hui : https://www.bourbaki.fr/ 

Berthollet (1748 – 1822) 

Originaire de Savoie, région qui fait à l’époque partie du royaume de Sardaigne (avant l’unification de l’Italie), il fait ses études de médecine à l’académie de Turin. Initié à la chimie, il est élu à l’Académie des Sciences, de la Royal Society, de l’Institut de France. 

Suivant les politiques tumultueuses de l’époque, il est successivement membres de commissions (agriculture, monnaie) pour la jeune République (la première), commissaire du gouvernement pour le pillage des pays conquis (pardon ! la vraie formule est : commissaire du gouvernement à la recherche des objets de science et d’art dans les pays conquis par les armées de la République). 

Il devient membre du Sénat après le coup d’état napoléonien, est nommé comte de l’Empire, puis après la défaite de Napoléon vote sa déchéance, avant de devenir pair de France, l’équivalent du Sénat sous la restauration. Ce goût pour les politiciens conservateurs se double d’un goût pour les explosifs, le monsieur étant à l’origine de plusieurs poudres fulminantes (pour faire des trous dans les ennemis de la République l’Empire du Royaume de France).

Son travail le plus important reste peut-être la définition de la notion d’équilibre chimique. Il a également inventé l’eau de Javel, a découvert l’emploi du charbon pour purifier l’eau.

Condorcet (1743 – 1794) 

Contemporain du précédent, et comme le premier de la liste, Nicolas de Condorcet est mathématicien ! Il fait partie des précurseurs des statistiques et des probabilités. 

Sur le plan plus politique, il se retrouve en conflit avec Lavoisier – ami de Berthollet – sur des affaires de fiscalité, prend la défense des minorités (femmes, juifs, noirs) et mêle cette préoccupation à sa science : en effet, en bon mathématicien, il s’intéresse au calcul, et en politicien, à la justice. C’est ainsi qu’il défend un cadastre précis et rationnel pour ajuster l’impôt au produit agricole. C’est également ce qui est à l’origine de sa perte, son pacifisme rentrant en conflit avec les amoureux de la guillotine qui prennent peu à peu le pouvoir au parlement. Il mourra peu après son arrestation, d’une cause inconnue. 

Il fait partie des inspirateurs du système métrique, dont le succès n’est plus à démontrer. 

Curie (1867 – 1934) 

Dois-je la présenter ? Deux prix Nobels, la première femme à en recevoir un, la seule personne récompensée pour deux domaines différents. 

Elle quitte sa Pologne natale à la suite de la politique de russification menée par l’Empire Russe, rejoint Paris. Elle s’inscrit dans une licence de physique, travaille sous la direction de Lippmann notamment, et est admise première à la licence de physique puis seconde à la licence de mathématiques. 

Elle rencontre son mari en cherchant des locaux pour travailler dans de bonnes conditions. Elle part en Pologne dans un premier temps pour enseigner mais finit par revenir quand il lui propose de l’épouser. Elle passera son agrégation, sera reçue première, mais ne prend pas de poste dans l’enseignement pour préparer son doctorat. Elle donne au passage naissance à sa première fille (moi perso j’ai besoin d’un verre le soir pour décompresser mais manifestement ça n’est pas le cas de tout le monde #fragile) 

Elle se dédie à l’étude des rayonnements Becquerels (vous savez le nombre de désintégration / seconde dans une certaine quantité de matière radioactive ? Bah c’est nommé d’après lui). Elle étudie ainsi l’uranium et des minerais en contenant. Elle prouve que la radioactivité est une propriété physique et non chimique. 

Elle obtient son premier prix Nobel grâce à l’insistance de son mari, l’Académie des sciences française ayant initialement omis son nom. A la mort de ce dernier, elle devient la première femme professeur à la Sorbonne à son poste, et la première femme présidente d’un laboratoire universitaire. Elle obtient également, malgré une campagne virulente lancée contre elle par la presse raciste et sexiste de l’époque, le prix Nobel de chimie. Elle lance l’usage des rayons X pour soigner les blessés, découvre le rôle du radium dans le traitement du cancer, et finit par décéder des effets des radiations du radium. 

Ses deux filles auront également un prix Nobel. « Reusta » c’est le mot que vous cherchez.

Dubois (1849 – 1929) 

Les Dubois en France c’est un peu comme les glands : il en tombe douze à chaque fois que tu tapes dans un arbre. Fort heureusement, le site de l’université précise qu’il s’agit de Raphaël Dubois, ce qui tombe bien parce que j’avais commencé la liste dans l’ordre alphabétique des Dubois ! 

Trêve d’amusements, notre Dubois est donc médecin et mène des recherches en physiologie, sur l’anesthésie et la bioluminescence. Il a été professeur de physiologie générale et comparée à Lyon, ce qui est pas mal. Il a surtout été le premier directeur de l’Institut de biologie marine Michel Pacha, à Tamaris, qui a été rattaché longtemps à Lyon 1 avant que l’activité de recherche ne soit rapatriée sur Lyon en 2008 par manque de financements de l’État. 

Daubié (1824 – 1874) 

Une star à la détermination incroyable, Julie-Victoire Daubié, fille d’un industriel, a pulvérisé nombre de plafonds à son époque. Elle commence ses exploits en obtenant le premier prix du concours de l’Académie des Sciences de Lyon. 

Elle prépare son baccalauréat avec son frère, prêtre, et complète sa formation en zoologie en s’inscrivant au muséum national d’histoire naturelle de Paris avec l’autorisation spéciale du professeur. Elle s’inscrit ensuite à la faculté des lettres de Lyon pour passer le baccalauréat, dans un local spécial qui lui est réservé pour passer les épreuves. Elle l’obtient avec 6 votes pour, 3 abstentions et un contre. 

Elle fonde une entreprise de broderie, et en parallèle écrit des articles dans divers journaux. La mairie de Paris la consultera pour examiner l’enseignement primaire, au sein d’une commission de dames (déjà des réunions non mixtes Hidalgo démission !!!!). 

Elle s’inscrit aux examens de la licence de lettres, sans avoir le droit de s’inscrire aux cours (niveau : HARDCORE), mais le réussit et reçoit un diplôme féminisé par le ministre en personne, certainement un sale “woke” fan d’écriture inclusive. 

Elle entreprend une thèse de doctorat, parce qu’elle n’a pas votre temps, mais décède avant de la terminer, de la tuberculose.

Grignard (1871 – 1935) 

Ce dernier est étonnamment proche de ma ville natale puisqu’il a fait ses études à l’École normale d’enseignement secondaire spéciale de Cluny. Il rejoint ensuite la faculté des sciences de Lyon. Il obtient avec Paul Sabatier le prix Nobel de chimie pour la découverte des réactifs de Grignard, ces derniers permettant de réaliser facilement des composés de synthèse. 

Fidèle à l’héritage d’Alfred Nobel, vendeur d’armes richissime avant de fonder le prix qui porte son nom, il est aussi à l’origine de crimes de guerre grâce à ses travaux sur les gaz de combat pendant la première guerre mondiale, yay !

Lippmann (1845 – 1921) 

Thésard brillant, il devient attaché du laboratoire de recherches physiques de la faculté des sciences après une scolarité difficile. Il est à l’origine de nombreuses découvertes dont notamment le seul procédé de photographie susceptible de fixer toutes les couleurs du spectre, les autres systèmes fonctionnant avec un ensemble de trois couleurs.

Forel (1841 – 1912) 

Il existe un nombre de Forel assez surprenants, et deux des cousins de François-Alphonse, l’éponyme, sont aussi relativement connus : Alexis Forel pour être graveur et Auguste Forel pour être nazi (pardon, partisan de l’hygiène raciale) (et accessoirement médecin). 

Professeur de zoologie et d’anatomie comparée, il étudie les lacs, l’histoire de la Suisse (qui n’a donc pas toujours été un pays neutre avec des vaches dedans), et pose les bases de la sismologie. Il est le premier à utiliser des ballons sondes pour des observations météorologiques en haute atmosphère.

Lwoff (1902 – 1994)

Quand certains ont des cousins problématiques, d’autres sont de grands résistants ! C’est le cas de André Lwoff, chercheur en biologie français. Né de parents ukrainiens, il fait ses études à Paris et étudie notamment les ciliés, ces protistes (catégorie fourre-tout contenant des unicellulaires ni animaux, ni champignons, ni plantes, ni chromistes) 

Juif, il a refusé l’exil aux USA proposés par la Fondation Rockefeller pour prendre part dans deux réseaux de résistants, Cohors-Asturies (affilié à De Gaulle) et Shelburn (affilié aux britanniques). Il échappe au sort de nombre de membres de ces réseaux et survit à la seconde guerre mondiale. 

Par la suite, il reprend son activité de recherche en introduisant notamment une taxonomie des virus, a travaillé sur le rôle de la fièvre dans la guérison des infections virales avec sa femme Marguerite. 

Il obtient son prix Nobel pour avoir trouvé le mécanisme utilisé par certains virus pour infiltrer les bactéries. Il utilise sa renommée à la suite de ces évènements pour défendre l’abolition de la peine de mort en intervenant comme témoin de la défense dans le procès de Patrick Henry, un homme arrêté pour le kidnapping et le meurtre d’un enfant d’industriels (celui dont les actes ont inspiré le fameux « la France a peur »). 

Galois (1811 – 1832) 

Mathématicien… quoi ? Vous ne savez pas où est le bâtiment qui porte son nom ? Vous voyez le square devant la BU ? Bah c’est lui – enfin, c’est ça qui est nommé d’après lui, petits chenapans. 

Bon, bref, avant d’être un square, c’était un petit jeune qui a posé une branche des mathématiques, rien que ça ! Il s’agit de la théorie de Galois, je vous laisse lire les deux premières phrases de Wikipédia pendant que je vais m’acheter une nouvelle boîte de doliprane : 

En mathématiques et plus précisément en algèbre, la théorie de Galois est l’étude des extensions de corps commutatifs, par le biais d’une correspondance avec des groupes de transformations sur ces extensions, les groupes de Galois. 

Il entre en conflit politique avec son école : en effet, à l’école préparatoire, le directeur manœuvre pour empêcher les élèves, à tout prix, de rejoindre le peuple qui se soulève à l’occasion des trois Glorieuses, allant jusqu’à rallonger leur scolarité de trois ans. 

Il est jugé pour avoir évoqué l’idée, lors d’un toast, d’éliminer Louis Philippe s’il s’avérait être un dictateur. Il est fort heureusement acquitté, mais revient en prison pour avoir commémoré de façon non autorisée la prise de la Bastille. Dans sa prison, il continue de travailler sur son mémoire. 

Il finira par mourir dans un duel, sans qu’on sache exactement par qui et dans quel contexte il a été assassiné.

En conclusion… 

Des conservateurs aux révolutionnaires, de 1740 à 1994, les bâtiments de l’université couvrent des époques et des découvertes très différentes. On note une surreprésentation de mathématicien·nes, et surtout une sous-représentation de femmes : conséquence d’une politique d’élimination de l’histoire des siècles passés, en cours d’amélioration heureusement ! 

Pour autant, vous en conviendrez aisément, il est peu d’hommes cités qui sont capables de se comparer à Curie et à Daubié, et à ne point en douter de nombreuses femmes restent à honorer parmi les Françaises. 

J’ambitionnais également de vous montrer que les scientifiques ne sont pas que des rêveur·euses perdu·es dans leurs travaux, mais avant tout des hommes et des femmes dans leur époque, en prise directe avec les problèmes de leur temps et mettant à contribution leur renommée pour faire avancer les choses. 

Fabien.


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