A la découverte d’un mal oublié : la fièvre jaune

Bonjour à tous ! Comme vous l’avez su dans le CQPS 30, cette semaine et jusqu’à la fin du mois, l’UE « Introduction à l’infectiologie » organise une expo en Thémis sur la fièvre jaune. Du coup, comme au CQFD on est toujours les premiers sur l’actu, on a décidé d’explorer cette malade sympathique pour en comprendre les enjeux.

C’est quoi la fièvre jaune ?

La fièvre jaune est causée par le virus du même nom. Il s’agit d’un virus à ARN simple brin positif, de la famille des Flaviviridiae, qui est transmis à l’homme lors d’une piqûre par un moustique infecté. Par le passé un fléau de premier plan, elle n’est plus crainte aujourd’hui, bien qu’elle demeure capable de produire des épidémies d’ampleur.

Une perspective historique

Ennemi des envahisseurs

Certains textes égyptiens laissent à penser que la fièvre jaune s’attaque à l’homme depuis longtemps, mais du fait de la faible précision des anciens relevés médicaux, il est difficile d’employer des sources antérieures à 1700.

La première épidémie officiellement enregistrée est survenue en 1648 au Mexique et décima colonies espagnoles et populations indigènes. Introduite par les esclaves importés d’Afrique, et renforcée par les perturbations environnementales engendrées par la culture de la canne à sucre à grande échelle, la fièvre jaune devint une plaie essentiellement américaine ; en Afrique, elle est reconnue en 1778, parmi les troupes britanniques en poste à Saint Louis de Sénégal.

Carte représentant les premières épidémies de fièvre jaune. Source : Cathey, John T., et John S. Marr. 2017. « Yellow Fever, Historical ». In International Encyclopedia of Public Health (Second Edition), édité par Stella R. Quah, 491‑501. Oxford: Academic Press. https://doi.org/10.1016/B978-0-12-803678-5.00502-6.

Son rôle dans l’histoire des nations caraïbéennes n’est pas à sous-estimer : l’épidémie de Saint-Domingue, en 1802, contribua à la défaite des Britanniques par les révolutionnaires Haïtiens, avant que ces derniers ne soient défaits par les Français qui perdirent également jusqu’à 85% de leurs soldats de maladie ; ces évènements encouragèrent Napoléon à abandonner toute prétention en Amérique du Nord.

Facteur de pertes économiques

Au-delà des pays colonisés, la fièvre jaune a attaqué également les pays colonisateurs et faisant du commerce avec les colonies. Ainsi, les états du sud des USA furent frappés d’épidémies à plusieurs reprises de 1793 à la fin du 19ème : Philadelphie, alors capitale des Etats-Unis par suite de travaux à Washington, fut ainsi frappé par une épidémie en 1793 qui emporta un dixième de sa population en quatre mois. En 1853, ce fut la Nouvelle-Orléans, qui perdit 11 000 habitants de juin à novembre. L’Europe n’est pas en reste, avec des cas de fièvre jaune à Barcelone (1821, 120 000 morts), Dublin (1826), Saint-Nazaire (1861, 44 morts et diffusion dans les autres ports).

En plus de ses ravages sur les populations, la fièvre jaune cause également chaos et pertes économiques. Cette terreur se ressent dans les noms de la maladie, allant des variations sur le thème de la peste jusqu’à « Maladie du Diable ».

Les premières… et dernières découvertes ?

Identification du moustique dans Cuba envahi

Ces pertes économiques importantes justifièrent l’invasion de Cuba, alors colonie espagnole, par les USA.  Envahie en 1898, l’île ne verra la fièvre jaune reculer qu’en 1901, le temps nécessaire aux Américains pour basculer d’une campagne centrée sur l’hygiène, inefficace, à une campagne anti-moustique ; ce malgré le fait que Finlay, médecin cubain, avait identifié le bon mode de propagation dès 1881.

L’intérêt économique de l’invasion est bien illustré par cette citation :

« If the Finlay theory is true, the sufferer from abroad can be made harmless at the cost of a few yards of mosquito netting. He may die himself, but he will not kill others and he will not interrupt the business of railways or steamboats. »

New York Times

Création du vaccin dans les colonies africaines

La suite des découvertes viendra d’Afrique, où le virus est également présent et actif. L’Institut Pasteur et la Fondation Rockfeller, après avoir isolé le virus respectivement du sang de François Malawi, syrien, et de monsieur Asibi, ghanéen, parviendront à mettre au point un vaccin chacun : le Dakar FNV, vaccin français administrable sous forme sèche, et le 17D, demandant une chaîne du froid plus exigeante.

Le Dakar FNV fut massivement employé dans les colonies françaises – chose facilitée par son administration par simple scarification – ce qui aboutit à la disparition des épidémies dans les zones vaccinées. La décolonisation aboutit à une perte de la couverture vaccinale et une reprise des épidémies, mais aussi à la découverte de la neurotoxicité du vaccin d’alors, entraînant son abandon au profit du 17D.

Un fléau tapi dans l’ombre ou une ombre sans danger ?

De province d’empire à pays pauvres

La fièvre jaune survient de nos jours dans des pays à faibles revenus, qui sont majoritairement d’ex-colonies. Les épidémies de faible intensité dans les pays pauvres passent plus facilement inaperçues, et avec elle la fièvre jaune.

Figure 1 : source : « GHO | By category | Yellow fever – Reported cases by World Bank income group ». s. d. Consulté le 19 février 2019. http://apps.who.int/gho/data/view.main.1530_50?lang=en.

Moins dangereux pour les locaux

Dans les pays où elle est présente, il ne s’agit pas d’une maladie de premier plan : elle n’est ainsi responsable « que » de 0,1% des décès totaux en Afrique en 2016, loin derrière le SIDA ou la malaria.

Ceci peut être en partie être expliqué par la moindre létalité de la fièvre jaune chez l’enfant : les autochtones peuvent avoir subi une infection dans l’enfance, suffisante pour conférer une légère protection.

La faible importance de la maladie dans ces pays eux-mêmes au second plan de l’attention médiatique pose d’autant plus problème au vu des acteurs impliqués, qu’ils aient des ressources limitées comme les états ou cherchent avant tout des maladies de premier plan comme les fondations privées : la fièvre jaune n’étant ni prioritaire ni très visible, ils investissent peu dans la lutte contre cette dernière.

Reste une menace pour les étrangers

Si l’administration du vaccin dans les pays où la fièvre jaune est endémique est complexe, puisqu’il nécessite par définition de vacciner l’ensemble de la population, celle des voyageurs est en revanche plus aisée.

De fait, une étude de l’OMS s’est penchée sur le sujet : seuls 23% des voyageurs se rendant dans des zones où la fièvre jaune est endémique ont obligation d’être vaccinés.

L’infection de travailleurs chinois en 2016 a fait également surgir des craintes de transmission du virus en Chine, qui possède les vecteurs usuels de ce dernier. Au-delà de l’ironie de la chose – une piqure de rappel du virus pour ceux dont l’attitude est parfois perçue comme néocoloniale ? – cela illustre bien pourquoi la stratégie EYE (Eliminate Yellow fever Epidemics) de l’OMS comprend dans ses objectifs la prévention de l’expansion à l’international de la fièvre jaune.

En conclusion : un potentiel danger qui n’est qu’à peine contrôlé

Le désintérêt pour la fièvre jaune semble donc étroitement lié au déclin de la domination coloniale ; son importance, enflée par la présence d’allochtones vulnérables au virus, est revenue à sa place normale, celle d’une maladie qui ne cause que 0,1% des morts dans les zones où elle est endémique.

On comprend dès lors mieux pourquoi, après avoir été une cible d’ampleur, la fièvre jaune est devenue une maladie dont on peine même à simplement contenir les épidémies.

Sources (principales)

Staples, J. Erin, et Thomas P. Monath. 2011. « CHAPTER 74 – Yellow Fever ». In Tropical Infectious Diseases: Principles, Pathogens and Practice (Third Edition), édité par Richard L. Guerrant, David H. Walker, et Peter F. Weller, 492‑503. Edinburgh: W.B. Saunders. https://doi.org/10.1016/B978-0-7020-3935-5.00074-4.

Cathey, John T., et John S. Marr. 2017. « Yellow Fever, Historical ». In International Encyclopedia of Public Health (Second Edition), édité par Stella R. Quah, 491‑501. Oxford: Academic Press. https://doi.org/10.1016/B978-0-12-803678-5.00502-6.

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